Au milieu d’une pandémie mondiale, la tension typiquement caractéristique de la sphère politique Américain est très élevée. Nombreux se trouvent frustrés par l’écart entre ce que recommandent les experts scientifiques et ce que dit le président. De plus, des mouvements raciaux tels que Black Lives Matter marquent une fatigue et une aversion continues envers toutes formes de discrimination. En ce qui concerne la discrimination sexuelle, des agences de Trump ont récemment fait des efforts pour limiter certains droits LGBT qui étaient en processus d’expansion sous la Cour Suprême. Par exemple, son administration a récemment abrogé certaines protections des soins de santé pour les individus LGBT. Pour certains, ces efforts peuvent paraître surprenants, car les Etats Unis étaient auparavant un pays relativement avancé en termes de droits LGBT. Marquent-ils une rétraction dans la tolérance sexuelle aux Etats-Unis? Et comment est-ce que cela se compare à d’autres pays ou la tolérance est plus récente, tels que la France? 

Nous observons une évolution forte et continue de notre compréhension de la sexologie à travers le monde. Bien que le milieu du vingtième siècle a marqué un mouvement des droits LGBT et des réformes sexuelles dans plusieurs pays tels que les États Unis et l’Allemagne, la France a commencé à adopter des nouvelles idées académiques par rapport à la sexologie un peu plus tard. En rapport à l’étude scientifique de la sexualité, selon Chaperon, “l’Allemagne, le Royaume Uni, les États Unis se montrent beaucoup plus actifs dans ces recherches et mouvements que les pays catholiques du Sud de l’Europe. En France ces idées s’imposent difficilement” (95). Cela dit, une nouvelle attitude envers la sexualité a commencé à se développer un peu plus tard, comme le révèlent de multiples publications récentes. Cette transition est motivée par trois changements principaux : une exploration approfondie de la prévalence de l’homosexualité ; un appui sur la sociologie et les limites de la biologie comme explication ultime de la sexualité; et une baisse rapide de la tolérance de l’oppression et la discrimination. Nous regarderons dans un premier temps les changements qui ont récemment eu lieu en France, et toucherons sur les implications scientifiques, sociologiques, et politiques de ces transitions importantes.

On voit la sexologie en France développer une interprétation moins binaire lors de l’ouverture de discussions entre les psychologues traditionnels et les militants de la libération sexuelle. Bien que ce mélange crée beaucoup de débat entre les français, on finit par adopter des idées plus libérales suite aux résultats de recherche d’Alfred Kinsey. Selon Chaperon, “Alfred Kinsey poursuit beaucoup plus loin les graduations de l’homosexualité déjà présentes avant lui. Guidé par la variabilité des comportements, il instaure tranquillement un continuum des pratiques qui gomme toute altérité. Il forge une échelle de 0 à 6, allant de l’hétérosexuel absolu, n’ayant jamais eu aucune expérience homosexuelle jusqu’à l’homosexuel exclusif refusant toute hétérosexualité, la majorité des individus naviguant entre ces deux pôles” (108). Ce nouveau modèle détruit effectivement la représentation binaire sexuelle et le stigma traditionnel envers l’homosexualité. Il mène en effet à beaucoup de critique par la communauté scientifique : Donald Webster Cory, Daniel Guérin, Bergler et Kroger rejettent les idées de Kinsey et proposent de théories alternatives qui tentent d’expliquer l’homosexualité comme provenant de causes non naturelles et non légitimes. Par exemple, Bergler et Kroger, “ affirment que l’homosexuel parce qu’il souffre d’un sentiment de culpabilité a tendance à “exagérer l’universalité de sa déviation” et à s’entourer de “névrosés” ” (Chaperon, 108). Les travaux de Kinsey suscitent énormément de débats qui persistent ensuite longtemps parmi les Français. D’après Chaperon, malgré les désaccords, de tels travaux au vingtième siècle marquent le début d’une attitude plus ouverte envers la fluidité sexuelle en France.

L’attitude scientifique générale envers la sexualité en France a aussi progressivement appuyée l’argument de la construction sociale, et s’est éloignée de l’idée que la biologie pure est une explication suffisante de la nature des pratiques sexuelles humaines. Une distinction importante qui révèle l’influence sociologique sur la sexualité humaine est celle entre le modèle animal et humain. Certaines recherches françaises publiées à la fin du vingtième siècle soulignent qu’on s’éloigne d’une interprétation uniquement concentrée sur les fins de reproduction, et plus orientée vers la construction sociale de la sexualité. Par exemple, Bozon note : “d’une façon générale, la sexualité animale est sous la stricte dépendance de la biologie, tandis que la sexualité humaine repose sur une construction sociale. Du côté animal, l’activité sexuelle n’est possible qu’aux périodes où la femelle est fécondable. Dans l’espèce humaine, cette limitation « technique » n’existe pas ; étant donné que la copulation est possible à tout moment, il est nécessaire d’inventer des procédures sociales, formelles ou informelles, qui indiquent quand, comment et avec qui celle-ci est souhaitable” (169-186). Ainsi, il ne serait pas logique de traiter la pratique humaine comme un produit simple du besoin reproductif, identique à l’animal : afin de parvenir à une compréhension fondamentale, nous sommes obligés d’accompagner nos connaissances biologiques de nos observations sociologiques. Tout cela révèle le passage de la littérature française à un modèle moins unidimensionnel, plus multiforme et plus complet dans le domaine de la sexualité humaine.

Finalement, depuis la fin du vingtième siècle, la révolution sexuelle a été accélérée par certains mouvements politiques. Fatigués des assauts contre les communautés homosexuelles et motivés par un désir de se faire accepter dans la société française, de nombreux groupes activistes et des mouvements de libération commencent à repousser l’oppression. Bérard et Sallée notent: “dans la seconde moitié des années 1970, les mouvements gais précisent leurs revendications, qu’ils orientent vers la lutte contre la répression. […] En France, un processus de conversion similaire s’opère au même moment. […] Un tract des Groupes de libération homosexuelle (GLH) fait ainsi mention, en 1978, d’un contexte de tracasseries policières généralisées sur tous les lieux de rencontre homosexuels des grandes villes françaises. C’est dans ce contexte qu’à l’été 1979, est fondé le Comité d’urgence anti-répression homosexuelle (CUARH)” (108). De plus, le concept de la majorité sexuelle disparaît, et l’homosexualité est de plus en plus normalisée. D’après Bérard et Sallée, les mouvements militants gais suivent une trajectoire “qui les conduit d’un moment d’émergence radical et expérimental a un temps de structuration d’organisations visant l’obtention de transformations législatives plus ciblées. C’est dans ce cadre qu’est posée la question […] de l’idée même de majorité sexuelle” (111). Ainsi, les mouvement politiques des années 1970 mènent à une acceptation plus universelle de la fluidité sexuelle.

Il serait pourtant naïf de croire que ces changements progressent harmonieusement vers une reconnaissance universelle. Au contraire, les conversations qui ont résulté des travaux de Kinsey restent controversés et beaucoup de français s’y opposent a ce jour. Après sa mort en 1956, une “avalanche haineuse” est déclenchée à propos de l’homosexualité en France: on trouve dans les journaux des opinions et des déclarations extrêmes des deux côtés (Chaperon, 109). Daniel Guerin, qui travaille sur des témoignages de la bisexualité, rédige la nécrologie de Kinsey pour France Observateur mais le journal néglige les messages encourageants et publie plutôt les courriers hostiles. Frustré par le manque de reconnaissance, Guérin dit : “les “tabous” exercent encore une pression si forte qu’un journal de gauche ne va publier que les lettres opposées à ma thèse” (Chaperon, 108-109). De tels tabous sont très évidents dans une société qui valorise la liberté d’expression : un viennois va jusqu’à dire que “considérer que l’existence d’homosexuels et une preuve qu’ils sont “naturels” relève de la rêverie. L’existence d’assassins de par le monde ne donne absolument pas droit de cité à l’assassinat dans la morale” (Chaperon, 109). De plus, de telles croyances s’étendent aux professions médicales : un médecin affirme “qu’il s’agit de prendre les invertis pour ce qu’ils sont, des malades, et de les traiter, recherchant la part des troubles hormonaux ou névrotiques qui a causé leur affection” (Chaperon, 109). La revue Arcadie a tenté d’apprivoiser la situation en concluant qu’on ferait mieux de laisser chacun à accepter sa propre sexualité en respectant celle des autres– mais malgré cet effort pour rassurer le public, rien n’a ultimement été publié (Chaperon, 109). Par contre, il est vrai que ces mouvements marquent des changements graduels soutenus au cours des années suivantes. Comme le mentionne Bozon, l’apparition seule de l’étude de la sexualité comme phénomène scientifique en est preuve : en rupture avec les idées religieuses traditionnelles de la chaire masculine et féminine, de plus en plus d’attention est accordée à la distinction entre le sexe biologique et la nature complexe de la sexualité. Ces changements se voient au niveau de la loi : en 2013, la France est devenue le 9e pays européen à passer une loi autorisant le mariage homosexuel pour tous (“Le Mariage Pour Tous”).    

C’est ainsi que nous observons un changement continu dans la façon dont les médecins, psychologues, sexologues et le grand public perçoivent la sexualité en France. Avec une sensibilité accrue déclenchée par certains scientifiques pionniers, en combinaison avec des affrontements politiques d’une minorité sexuelle (et ce concept reste discutable) qui réclame ses droits et des avancées dans les disciplines biologiques et sociologiques, la France est parmi un nombre considérable de pays qui empruntent le chemin d’une définition beaucoup moins contrainte de la sexualité humaine. Les implications sont diverses, notamment quant à la meilleure avenue à prendre en ce qui concerne le rôle du sexe dans la société. Une nouvelle école de pensée suggère une société totalement vide de catégorisation entre mâles et femelles, étant donné que l’acte de reproduction est considéré comme de moins en moins intégral à la sexualité et peut se faire volontairement à l’aide de technologies avancées (Rouch, 251-270). Envisageons-nous bientôt une société sans sexe ?

Quelle que soit la réponse, les efforts récents de l’administration Trump marquent un changement de direction marqué. Envisageons-nous une ère où la France surpassera les Etats Unis dans un domaine où elle était précédemment arriérée?

 

Christiane Konstantopoulos is a student at The Woodrow Wilson School at Princeton University. Her research interests include global issues in gender and sexuality, health, and inequality.

 

Banner Image by Margaux Bellott, courtesy of Unsplash.

 

Références 

Bérard, Jean, et Nicolas Sallée. “Les Âges Du Consentement. Militantisme Gai Et Sexualité Des Mineurs En France Et Au Québec (1970-1980).” Clio. Femmes, Genre, Histoire, no. 42, 2015, pp. 99–124. JSTOR, www.jstor.org/stable/26264977. Accédé 12 May 2020.
Bozon, Michel. « Chapitre 8. Sexualité et genre », Jacqueline Laufer éd., Masculin-Féminin questions pour les sciences de l’homme. Presses Universitaires de France, 2001, pp. 169-186.
Chaperon, Sylvie. “Kinsey en France: les sexualités féminine et masculine en débat.” Le Mouvement social, No. 198, Féminin et Masculin (Jan. – Mar., 2002), pp. 91-110.
“Le Mariage Pour Tous.” Gouvernement.fr, 15 May 2017, www.gouvernement.fr/action/le-mariage-pour-tous.
Rouch, Hélène. « Les nouvelles techniques de reproduction : vers l’indifférenciation sexuelle ? », Albert Ducros éd., La frontière des sexes. Presses Universitaires de France, 1995, pp. 251-270.

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