Amnesty International vient de publier un document choc sur les droits de la personne en Israël et dénonce la politique d’apartheid du régime en place. Les réactions pavloviennes du côté tant du gouvernemental israélien que de la diaspora juive dans le monde sont typiques de toute condamnation de l’État hébreu : dénonciations hystériques et accusations d’antisémitisme, au même diapason que celles touchant la volonté de la Cour pénale internationale (CPI) d’examiner si des crimes correspondant à la juridiction de la Cour ont été commis par Israël contre les Palestiniens dans les Territoires occupés.


On sait qu’Israël n’est pas membre de la CPI, ce qui n’étonne personne mais aussi qu’elle ne reconnait pas le droit des Palestiniens de s’y joindre dans la mesure où ils ne constituent pas un état souverain. Évidemment, Israël les en empêchant depuis des décennies, l’argument ne compte pas que des détracteurs. Le hic, c’est que les Nations Unies ont accordé aux Palestiniens le statut d’État non-membre observateur. La casuistique serait désopilante si elle ne cachait pas plus de 70 ans de souffrances.

On se demandait quand Amnistie internationale se déciderait à porter un jugement que tant d’autres ont exprimé dans différentes enceintes. Après tout, l’ancien président américain Jimmy Carter avait bien publié un ouvrage choc – Palestine : la paix, pas l’apartheid dont bien des lecteurs mobilisés avaient dénoncé des inexactitudes au lieu de saluer l’importance de la dénonciation. D’ailleurs, au fil des ans, des sommités israéliennes ont-elles-mêmes dénoncé une situation de fait dans les territoires occupés. Mais Amnistie internationale s’est rattrapée de façon éclatante parce que parfaitement documentée.

Pourquoi parle-t-on d’apartheid? Si l’on s’inspire de l’Afrique du Sud dans le passé récent, c’est simplement quand des violations majeures au titre des droits humains sont commises de façon délibérée pour maintenir un régime ou un système de contrôle discriminatoire envers un groupe précis.

On en doit la preuve au Président Obama. On se rappellera que le Premier ministre israélien Netanyahou était venu provoquer Obama à Washington en prononçant au Congrès américain un discours hostile à la politique iranienne des États-Unis. Obama avait sans doute voulu se venger et, pour la première fois dans l’histoire politique américaine, un président américain avait refusé d’exercer son droit de veto contre une résolution dommageable pour Israël au Conseil de Sécurité des Nations Unies. Le résultat de ce vote le 23 décembre 2016, deux semaines avant l’investiture de Trump, a été la résolution 2334 qui prévoit un examen trimestriel du Conseil sur la situation dans les territoires occupés par Israël ainsi qu’à Gaza, examen qui se poursuit de nos jours. Cette résolution précise : « La résolution 2334 (2016) exige d’Israël qu’il « arrête immédiatement et complètement toutes ses activités de peuplement dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est » et « respecte pleinement toutes les obligations juridiques qui lui incombent à cet égard ».

Voici un exemple de ce que le rapporteur du Secrétaire général évoquait le 29 septembre 2021:« Les démolitions et les saisies de structures appartenant à des Palestiniens se sont poursuivies dans toute la Cisjordanie occupée, y compris Jérusalem-Est. Au motif de l’absence de permis de construire délivrés par les autorités israéliennes, lesquels sont presque impossibles à obtenir pour les Palestiniens, 302 structures ont été démolies ou saisies par les autorités israéliennes… » ou encore : « Le 7 juillet, les autorités israéliennes ont démoli une trentaine de structures, dont 17 avaient été fournies en tant qu’aide humanitaire, dans la communauté bédouine de Humsa Al-Baqai’a, dans la vallée du Jourdain. » Il ne faut pas croire que ces observations de terrain se limitent à dénoncer les exactions israéliennes. Le rapporteur est tout aussi sévère pour le Hamas ou encore pour l’autorité palestinienne quand elle commet des abus, mais le gros des critiques se portent sur la puissance occupante.

On me dira que peu de gens écoutent les débats au Conseil de Sécurité et encore moins les lisent. Mais c’est en cela que le rapport d’Amnistie internationale est essentiel car il met en exergue l’ensemble des mesures prises par Israël dans les « territoires palestiniens occupés » dans tous leurs aspects, rappelant la phrase lapidaire de Netanyahou en 2021 : « Israël n’est pas un état de tous ses citoyens mais plutôt l’État-nation du peuple juif et seulement eux ». Pourquoi parle-t-on d’apartheid? Si l’on s’inspire de l’Afrique du Sud dans le passé récent, c’est simplement quand des violations majeures au titre des droits humains sont commises de façon délibérée pour maintenir un régime ou un système de contrôle discriminatoire envers un groupe précis.

Le rapport d’Amnistie est très dur car il parle d’oppression et de domination à l’égard des Palestiniens, de fragmentation et de ségrégation territoriales, de régime juridique militaire et non civil, de dépossession coloniale, de rejet de citoyenneté et d’identité propre, de déni de résidence et d’atteinte à la vie familiale, de restriction de mouvement et de participation politique et sociale, de restriction d’accès aux services de base, à suffisamment d’eau potable, des procédures de détention souvent injustifiables et, comme le rapporteur de l’ONU le précise, d’évacuations soi-disant fondées sur l’absence de permis dont la délivrance est systématiquement réduite pour permettre à la colonisation juive de se perpétuer et s’étendre.

C’est un témoignage accablant mais nécessaire. Un pays aussi extraordinaire qu’Israël sur tous les autres plans ne devrait pas subir une telle dénonciation; mais il lui appartient à lui seul que ce message ne soit pas répété d’une décennie à l’autre. Un peuple qui a tant souffert dans un passé encore frais à la mémoire collective, qui souffre d’un renouveau d’antisémitisme, jamais absent et toujours intolérable, ne peut continuer d’être l’oppresseur qui nie la réalité que rapporte Amnistie Internationale.


This article was originally published via the Centre for International Policy Studies

Ferry De Kerckhove is a Senior Fellow at the Graduate School of Public and International Affairs, University of Ottawa. He entered the Canadian Foreign Service in 1973 and served as Canada’s High Commissioner to the Islamic Republic of Pakistan, Ambassador to the Republic of Indonesia and the Arab Republic of Egypt. He was also the Personal representative of the Prime Minister for la Francophonie.

Photo Credit: Justin McIntosh via Wikimedia

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